Là où nul ne va ou presque, au Myanmar, vivent encore des femmes au visage tatoué. J’ai rencontré quelques-une d’entre elles. Elles sont aujourd’hui les dernières représentantes de cette coutume ancestrale du tatouage facial…
Rencontre avec Ma Tin Twe, femme au visage tatoué
Je rencontre Ma tin twe dans son village qui borde la rivière par laquelle je suis arrivée en barque. Elle est assise sur un petit tabouret au raz du sol en terre battue. Ses mains s’agitent autour d’un fil bleu dont elle fait une pelote. Je suis impressionnée. Son visage est couvert de lignes qui convergent vers le nez et strient ses joues, son menton, son front. Même les narines et les paupières sont tatouées. Sur ces dernières, les lignes s’entrecoupent et forment des losanges.
Les questions affluent déjà à mon esprit. Que cela doit faire mal !? Comment se sent-elle à porter ce tatouage ? Quand a-t-il été réalisé et pourquoi ?
Par chance, je suis venue accompagnée d’un guide qui manie l’anglais. Il va pouvoir traduire ma pensée et m’offrir la chance de communiquer avec cette femme.
Ma tin twe a 84 ans. Elle s’est fait tatouée ici au village où elle est née et à vécu toute sa vie. Sa soeur et ses filles l’entourent. Ici au Myanmar on vit en famille, toutes générations confondues, surtout dans les régions reculées et plus pauvres, comme ici.
Aujourd’hui elle est, comme la plupart des femmes que je rencontre, très fière de porter ce tatouage qui fait entièrement partie de son identité. Ce n’est pourtant pas l’avis de toutes les femmes que je m’apprête à rencontrer…
L’histoire du tatouage facial au Myanmar : entre torture et tradition
J’apprends qu’il s’agit d’une coutume ancestrale amenée à disparaitre car depuis les années 50 le gouvernement a interdit, par le biais des chefs de village, la pratique du tatouage facial, sous peine de représailles. Une des hypothèses de cette interdiction serait l’ambition du gouvernement de rassembler son peuple, composé de multiples ethnies, par l’unicité pour mieux le contrôler et donc la volonté d’effacer les us et coutumes qui les différencient. Les plus jeunes des femmes encore ainsi tatouées ont déjà atteint ou presque leurs 70 ans aujourd’hui.
À l’origine, le tatouage facial de l’ethnie Chin était principalement pratiqué pour enlaidir les femmes et ainsi les préserver des rapt des rois de Bagan et des hommes des régions et ethnies voisines. Personne n’aurait voulu d’un tel visage à marier… Pourtant chez les Chind l’inverse était vrai. Jamais une femme non tatouée n’aurait pu être épousée, car le tatouage a fini par devenir une pratique traditionnelle.
Les femmes que je rencontre m’expliqueront presque toutes avoir attendu leur tatouage avec impatience. Un visage nu faisait l’objet de moqueries de la part des jeunes filles ayant déjà l’encre injectée dans leur peau pour toujours.
D’autres me diront tout de même la torture que cela représentait. L’une d’elle me raconte qu’elle y a été forcée, chacun de ses membres retenus par une tiers personne et le tatoueur assis sur sa poitrine pour l’empêcher de bouger.
Le tatouage du visage au Myanmar : porter fièrement son identité et ses traditions
Pourtant aujourd’hui, ces tatouages du visage font l’objet d’une grande fierté à l’unanimité. Les femmes Chins portent les dernières, les coutumes ancestrales de leur peuple. C’est avec tristesse qu’elles voient disparaître leur tradition qui ne perdurera pas avec les plus jeunes générations. D’ailleurs, j’ai posé la question à quelques jeunes filles, descendantes ou jeunes sœurs des femmes tatouées, et dans un sourire timide elles ont fait signe que non, elles n’auraient pas voulu du tatouage.
Ce tatouage avait une autre fonction importante. C’était une façon de se différencier des birmans car les Chins ne se considèrent pas comme peuple du Myanmar mais bel et bien Chins de l’état du même nom.
La pratique du tatouage facial Chin au Myanmar
Les dessins étaient réalisés à la plume de poulet en guise d’aiguille et l’encre à l’aide de quatre pigments différents. La réalisation pouvait durer un jour entier et encore un demi. Bien entendu il y avait des risques d’infection. Une femme me confirme : “J’avais d’avantage peur de perdre mes traditions que ma vie”.
Il y avait à l’époque un tatoueur professionnel dans chaque village. Aujourd’hui plus personne ne le pratique et les derniers tatoueurs sont morts. Les petites filles recevaient le tatouages entre les âges de 7 et 13 ans. Après, la peau moins élastique se mettait à saigner abondamment et il était moins aisé de tatouer.
Parmi l’ethnie Chin du Myanmar, on trouvait 49 tribus différentes, dont 7 pratiquaient le tatouage du visage et chacune d’entre elles tatouait un motif unique à ses femmes. Par exemple les Mun Chins et leur tatouage en forme de lettre B, les Magan Chins avec des points et de grosses boucles d’oreilles et les Dhai Chins avec eux aussi des points. Aussi, les femmes araignées, comme Ma tin twe.
Je vous laisse avec deux galeries de photos, l’une de portraits de ces femmes et l’autre de la vie dans leurs villages, j’espère qu’elles vous plairont.
Bravo pour ce beau reportage ! Je n’ai pas du tout fait attention à ces détails lors de mon voyage. En revanche, j’ai bien compris que la junte birmane cherchait à se débarrasser de toutes ces ethnies avec leurs propres traditions et langages. On m’a parlé de plus de 90 ethnies. Et des combats à l’usure sont engagés un peu partout sur les zones frontalières où les touristes étrangers peuvent difficilement se rendre. Les gens de ce pays sont beaux et forts.
Bonjour Marelune, je découvre aujourd’hui votre blog bien documenté, illustré, et super intéressant Agréable de croiser des voyageuses comme vous. Je me suis personnellement intéressé aux ethnies du nord Vietnam mais je viens vous parler d’un festival dont je suis un des organisateurs, chaque mois de mars à Saint-Etienne, https://www.curieuxvoyageurs.com/ Nous y accueillons des voyageurs dans votre style, leurs films, leurs expo photos ou d’objets rapportés de voyage, leurs livres. A un de ces jours peut-être.
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